Chère amie, cher ami,
La nuit vient de tomber depuis quatre heures, le soleil se couche comme en Inde, inlassablement à 18h30. Depuis, j’ai pris mes habitudes nocturnes pour ces quatre nuits loin de mon Amoureuse, j’ai superposé les deux tables basses qui servent de table de nuit, avancée l’unique chaise de la petite chambre, un petit cendrier à mes pieds et une petite bière qui me tient compagnie. J’entends de l’autre côté de la porte le doux murmure d’Eléonore qui s’est enfin embarquée pour le pays des rêves après un très chouette reportage sur le Vietnam proposé par TV5 Monde et la route Mandarine dont je te parlais il y a quelques jours.
Pour une dernière fois, je profite de cette terrasse, je te consacre ce temps important de l’écriture et du témoignage que je souhaite le plus direct possible avant que les souvenirs s’estompent, un peu comme ces milliers de paysages et de visages aperçus sur la route que l’on veut par-dessus tout mémoriser pour mieux se souvenir mais dont il ne reste que des traces, des parfums et des couleurs. J’aurais pu enlever des passages, le rendre plus court mais ce n’est pas mon habitude, j’espère que tu t’y retrouveras,… même s’il te faudra revenir pour découvrir toutes les photos, … la Wifi est bien faible ici,…
Hier, nous sommes donc arrivés fourbus à Hué, l’ancienne capitale impériale de la dynastie N’Guyen. Ce matin, c’est repos pour tout le monde. Nous prenons le temps de nous balader dans les rues autour d’un impressionnant site universitaire, ne souhaitant utiliser de nouveaux scooters, les crampes sans doute ou peut-être aussi la fatigue d’une journée complète dessus… Les enfants préfèrent déambuler dans ces rues typiques du début du 20°siècle autour de l’immense faculté de médecine et du centre universitaire sportif, me vient alors une image qui est une réelle constante partout où nous passons :
La propreté !
Au Vietnam, il y a une réelle prise de conscience de l’hygiène, du tri sélectif des déchets, du ramassage quotidien des poubelles, … Chaque matin, le Vietnamien balaie intégralement son trottoir, dépose ses sacs poubelles chaque soir, le Vietnamien arrose à grande eau son trottoir et le balaie. C’est un choc culturel pour nous, je ne m’imagine pas le faire ainsi, quotidiennement à Strombeek-Bever, l’ai-je déjà fait ? Comme tous les Européens donneurs de leçon, j’imagine mon monde à la tête de la transition écologique, d’une propreté inégalée, d’une pollution diminuée par nos efforts, (isolation thermique, fin du diesel, des nouvelles énergies alternatives, m’offusquant du prix du tri sélectif, et j’en passe les meilleures, …) constatant avec tristesse ces pays pollueurs de notre planète qui n’est certainement pas le mien. Il est bien entendu que ces considérations trop belles du voyageur que je suis ne peut masquer une autre réalité plus tragique, nombreux sont les sites naturels en danger au Vietnam ; en cause, une industrialisation massive, des saccages de la faune et flore des étendues des bandes côtières ou des forêts. Mais, je le redis, quand je vois leur effort dans toutes les villes pour assainir les égouts des villes, les constructions de stations d’épuration des eaux, … je suis ébahi, comme je vous le disais de ces routes impeccables sans sac poubelle tout le long. nous vous en montrerons prochainement plus de photos.
Ridicule, non ? Nous n’en avons fait aucune photo, … Un signe ?
Il fait décidément trop chaud aujourd’hui ! Nous n’avons tenu à peine deux petites heures dehors, nous décidâmes de prendre notre première longue sieste depuis longtemps et de réserver notre énergie à une longue visite en fin d’après-midi au palais impérial.
Ce soir, à l’heure où je t’écris ces mots flotte comme une espèce de lassitude douce, un parfum loin de la mélancolie mais il manque quelque chose … Un je-ne-sais-quoi ? Peut-être qu’à force de se replonger à l’écrit, cela sautera-il aux yeux ?
Ce soir, pour me fêter mais c’est la fête tous les jours, nous avons choisi de nous restaurer sur les rives et les berges de la rivière aux 7 parfums, avec ses restaurants et son marché permanent. C’est ce soir-là, tu t’en souviens certainement, ce soir où je t’avais écrit ma première lettre. Continuons, … ou en étais-je ? A ce beau matin de mon anniversaire, … un six septembre.
La cité interdite de Hué nous apparaît de nos nouveaux scooters – nous avons repris nos vieilles habitudes- imposante tel qu’il est affiché dans tous les tours opérateurs : Situé au milieu de la rivière aux 7 parfums, de grands boulevards s’y rejoignent, encerclant la cité par deux ponts majestueux. Devant son entrée principale, trône un gigantesque drapeau national, repère pour toute la ville. La cité est imposante, elle pouvait abriter près de 5000 personnes, toute au service de la Cour impériale. Son entrée monumentale colorée à deux niveaux, est surmontée du traditionnel toit des pagodes chinoises, son premier étage servait de balcon à l’Empereur pour apparaître lors des fêtes annuelles à sa population. Aujourd’hui encore, les habitants de Hué sont habités par un retour secret d’un successeur.
Tout le style est chinois, influence majeure sur l’architecture et les fastes de la cour. Ce qui frappe au premier coup, c’est l’immense silence qui règne sur la cité, vidée depuis des lustres par ses habitants, détruite presque intégralement par les incessants bombardements américains, (la cité avait été reprise dans les dernières années de la guerre par les forces du Front patriotique Communiste par surprise ce qui suscita l’ire et la colère des stratèges du Pentagone qui n’avait d’autres options qu’un bombardement massif de la cité impériale). Elle fut reconstruite petit à petit ces vingt dernières années par le Parti Communiste qui y vit soudainement une urgence nationale de remettre son patrimoine en avant, reprise alors partiellement par l’UNESCO, lors de l’ouverture progressive du pays sur le monde. Ce palais est aujourd’hui devenu un havre de paix où il fait bon déambuler, vois plutôt, …
A la sortie de la visite, toujours cette même question : « Où manger ? », elle est devenue notre principale préoccupation sur nos routes : » la bouffe, se nourrir quoi ?! Les petits désirs et surtout besoins du quotidien. »
Lorsque nous n’avons pas le déjeuner compris dans notre nuit d’hôtel, c’est toute une organisation d’anticipation. Il nous faut chaque soir refaire un stock déjeuner pour assouvir les estomacs affamés du matin de nos petits loulous, ce qui nous manque le plus à Cha et moi, c’est le café. Nous nous sommes dits qu’à la première petite bouloir transportable trouvée, elle viendrait alourdir nos sacs avec quelques dosettes.
Les choix des restaurants s’avèrent aussi un savant mélange des goûts. Eléonore et Noé ne sont pas opposés à la nourriture thaïlandaise, cambodgienne ou vietnamienne mais la répétition des plats et leur manque de diversité font de ces trois rendez-vous quotidiens, une halte particulière. Pourtant, ils en ont goûté des savoureux mélanges, des plats traditionnels de chaque pays : des soupes aux boulettes, des sandwichs aux saucisses et autres grills, des poissons au BBQ, des feuilles de papiers emplies de salades et de poulets, des fried rice et noodles, … ce qui passe le plus ce sont les plats à base d’œufs, ça marche toujours…
Alors, de temps en temps, quelques frites, pizzas ou cheeseburger pour faire passer le tout. De ces rendez-vous culinaires, Maya, Cha et moi en avons gardés d’excellents souvenirs comme nos nombreux arrêts inopinés sur la route : En Thaïlande comme au Cambodge, il n’était pas bien difficile de trouver à manger, chaque coin de rue est parsemé de petits food-truck, j’aurais dû en 2000 inonder Bruxelles et le marché de cette merveilleuse idée, … à toute heure du jour et de la nuit, il est possible pour 5€ de manger. Au Vietnam, ces food-truck n’existent pratiquement pas ou plus, ou alors dans les villages. Il faut se retourner sur ce que j’appelle « les hangars à cantine vietnamienne », ces halls où mangent parfois des centaines de Vietnamiens le soir. C’est bien entendu ceux-là qu’on vise car à très bas coût mais surtout parce que nourriture locale. Ainsi à Ho Chi Minh Ville, la grande spécialité, c’était le BBQ sur table, vraiment impressionnant avec ses buffets gastronomiques. A Mui Ne comme à Hoi An, nous étions plutôt dirigés vers les saveurs de la mer, enveloppés dans ces célèbres feuillets de papier riz que l’on bourrait de salades, de feuilles aromatiques et de poissons ou encore ses coquillages servis chauds et grillés au feu de bois. À Hué, une variété de poulet bouilli dans une écume de riz,.. et des galettes frites.
Ce passage, je le destine à toutes mes lectrices et lecteurs qui se voient un soir, au retour du boulot, ne sachant que mijoter dans leur cuisine, alors, la cuisine d’Asie du Sud Est n’est pas difficile en soi, il suffit d’avoir quelques ingrédients indispensables et surtout des feuilles fraîches, et regarde les quelques plats à te faire saliver tes papilles, ils pourraient te donner des idées. …
Ce deuxième jour à Hué, nous partîmes très tard car une fois le déjeuner avalé, nous consacrions deux heures à la scolarité de nos petits loulous. Cha resta dans la chambre avec Léo et Auguste, Noé et Maya avec moi sur une terrasse à l’écart, nous commençâmes le premier chapitre en math : révision des acquis. Ils s’y plièrent tous et s’y mirent avec courage.
Ce n’est de nouveau pas à toi que je dois t’avouer que cet exercice me plaît, les élèves sont bien tous présents, avec leur matériel, désireux et même assoiffés d’apprendre… à écouter religieusement l‘enseignement donné, tout impressionné par leur nouveau professeur. L’apprentissage individualisé. Nous nous sommes connectés sur une plate-forme en ligne de la FWD appelée EAD, on découvre.
Tout autour de la ville impériale d’Hué, ce ne sont que des tombeaux, des mémoriaux, des stèles funéraires par milliers qui envahissent les collines des villages, comme si chaque pan de montagnes était destiné à la gloire des défunts. Une cité mortuaire, un culte dévoué aux ancêtres, une vraie identité culturelle qui donne à ce peuple un enracinement de son histoire.
Fort de notre carte papier sommaire reçue au gesthouse, nous partons avec le GPS à travers les campagnes ; nos routes touristiques nous emmènent dans de minuscules ruelles de petits villages, à la recherche d’une statue d’un empereur… flânant plus qu’à la recherche de notre chemin, les stèles funéraires bordent les chemins quand, au détour d’un sentier, se dresse une statue telle qu’elle nous force à descendre et à se mesurer à elle, tout simplement démesurée et en béton armée. Nous prenons une série de photos délirantes et nous reprenons aussitôt la route. À quelques centaines de mètres de là, un jardin clôturé abrite une terrasse de pierre, lieu de retrouvailles de l’Empereur et de ses sujets pour effectuer des rites sacrificiels. Ce n’est que récemment que les habitants de Hui commémorent encore cette tradition.
En nous dirigeant vers la tombe d’un de ce que nous croyons être un des plus grands Empereurs, nous bifurquons sur notre droite à la lecture d’un curieux panneau « Monastery », il nous faut gravir une petite route entre des sapinières pour découvrir un bâtiment étonnant : un monastère bénédictin construit dans les années ’70, au lendemain de la guerre. Il abrite près de 80 moines. L’un d’entre eux, assez âgé, nous accueille dans un anglais hésitant. Deux jeunes filles vietnamiennes, aussi curieuses que nous sont déjà sur place. Nous visitons le crypte et l’église. Curieux moment pour nous et surtout un rappel à ce que nous sommes nous-mêmes. Nous avons une pensée silencieuse pour Sister Myriam qui vient de nous quitter mais aussi pour nos deux amis prêtres, si fidèles Michel et Lambert qui sont en pèlerinage sur la Route de Saint Jacques de Compostelle vers Assise ou en retraite avec des enfants handicapés au retour d’un voyage au Liban.
Plus loin et une petite glissade de ma part « bien récupérée » sur un carrelage, nous découvrons un Parc aquatique abandonné avec une monstruosité de dinosaure au milieu d’un lac, des infrastructures en piteux état, une espèce d’ambiance à la Jurassic Park… Il fait presque trop sombre quand nous découvrons le tombeau de l’empereur et nous décidons de faire demi-tour.
Troisième nuit que je t’écris, tu dois te sentir flatté ! Moi, tu le sais, j’aime cet exercice particulier d’une rencontre hors-norme. Comme je sais que tu seras attentif à la surprise, à l’anecdote, à ce petit quelque chose qui te conduirait vers des paysages lumineux, des nouvelles de nos petits loulous, des vidéos et des instantanées, j’ai identifié la petite mélancolie qui me surprenait ; c’est Léo qui m’a soufflé la réponse : La Musique !!!
Sais-tu qu’elle passe son temps à chanter notre petite Amour, tout le temps, surtout sur en scooter face au vent, de plus en plus fort parfois. Tous les hits des Enfoirés ressortent et c’est vrai… avec Amir, Soprano, Black M, … Cabrel et JJG sont ringards pour ma Léo. Ce que j’emporterais sur une île déserte en dehors de ma famille ? Une guitare et un carnet pour t’écrire ou écrire tout simplement des chansons. Alors un souvenir pour une nouvelle fidèle lectrice qui se reconnaîtra, un air trop connu : « Quand je la regarde, moi l’homme-loup,… », celle-là et tant d’autres encore.
Nos deux derniers jours à Hué sont plus contrastés, ce 8 septembre, nous le consacrons à Auguste, c’est son anniversaire, notre petite merveille a deux ans, si deux ans comme ça !!! Déjà tellement grand, nous décidons de repartir sur la plage, laquelle est immense et située à une quinzaine de kilomètres. Nous nous prélassons dans un Resort tenu par un Français, Michel de Bourgogne, étonné lui-même que des petits Belges connaissent sa région, souriant même à la déclinaison des villes : Macon, Châlon, Tournus, Cluny,… Taizé, il fallait la placer celle-là au Vietnam. Plage et repos, un bon resto sur les berges de la rivière… Farniente.
Le lendemain, nous ressortons une dernière fois terminer la visite des mausolées, la route n’est pas bien longue, il fait sec et ensoleillé. Le premier est un mausolée dont vous parlera Maya plus tard, vertigineux. Un escalier en pente raide nous mène sur deux étages, le premier consacré à sa stèle, encadré de statues de pierre représentant sa garde mandarine, le deuxième à son trône et son tombeau, une statue en or le représentant les yeux fixés à jamais sur l’horizon. Impressionnant pour un Empereur qui n’a régné que 9 ans …
Plus loin, trois tournants suivants, patatras, c’est l’embardée, nos fidèles compagnons, nos scooters ont mordu la poussière à tellement faible allure que tout le monde se retrouve à terre. Malheureuse glissade qui aurait pu être plus grave, les enfants n’ont rien seule Eléonore a un bobo au ventre mais surtout un peu secouée, Cha et moi des ecchymoses sur les mêmes bras et jambes gauches, une cheville un peu douloureuse. Croyez-moi ça calme mais nous repartons très vite vaillamment, SURTOUT pas d’inquiétude, nous sommes prudents alors, pas question de ne pas visiter ce pour quoi nous sommes là, la route est belle et sereinement.
Le mausolée Ming la est un immense jardin de 10 Ha, une succession de pagodes et d’escaliers aboutissant à un vaste étang, partagé par un pont en bambou reliant la dernière pagode de la colline où repose l’Empereur. Etonnant mais en forme de corps humain, tout est dessiné pour symboliser le paradis sur terre où l’homme règne en maître. Nous nous amusons à donner manger aux poissons, drôle et détendant, surtout quand on sait que le lendemain, une nouvelle route nocturne nous attend pour nous déposer à la Baie d’Along terrestre, …
Ma lectrice, Mon ami, voilà j’en arrive à mes dernières lignes. À vous qui m’avez suivi tout au long de ces longues pages, les rendant moins solitaire. J’espère que vous avez pu nous rejoindre dans nos aventures, vous retrouver un moment sur mon balcon. Je sais, j’aurais dû trouver un autre final moins pitoyable et plus poétique mais cela en vaut-il la peine ?
Un jour prochain, je reviendrai vous revoir et vous écrire…
Sachez que pour ma part ce fut un moment délicieux, enivrant et apaisant de me remettre à ces moments de douce solitude consacré à ce partage.
Enfin, s’il te plait de nous écrire à ton tour, n’hésite surtout pas à nous transmettre tes commentaires en dessous de chacun de nos articles, nous serions heureux de pouvoir à notre tour te lire, … un plaisir partagé.
Bonne route. À bientôt à la baie de Along.
Fab