Le 31 juillet 2017
Le Cambodge.
Nous sommes entrés dans le pays en toute gentillesse comme on y entrerait parce que curieux de voir ce peuple Khmer, si fier, tellement debout, si souriant, si accueillant. On voudrait oublier un peu d’histoire parce que touriste, le monde d’aujourd’hui nous appartient. Alors, timidement, de balades en balades sur les plages de Thaïlande à Kho Chang, de balades en balades à Sihanoukville toujours sur les plages, il faudra bien y aller. Nous décidons de monter sur la capitale. Et entrer dans le pays.
Quand on quitte Shianoukville, sans connaître quoique ce soit du Cambodge, résonne à nos oreilles des noms qui glacent un peu; celui dont on se souvient ou dont on veut oublier les traces ou même de la mémoire collective comme Phnom Phen :
Phom Phen, Pol Pot, les Khmers rouges.
Phnom Phen, les Boat-people, les réfugiés cambodgiens sur leurs barques… Les années ’70. La fin de l’horreur croyait-on après celle du Vietnam que nous visiterons dans quelques semaines.
Phnom Phen, un souvenir, pareil à l’Ethiopie des années’80 de mon enfance et de la chanson de Renaut; la Somalie et les sacs de riz de mon adolescence et l’Ex-Yougoslavie, Sarajevo ou Sebrenica ou Dubrovnik des années ’90 de ma première chanson et prise de conscience, et notre Rwanda, de mon premier frisson d’horreur !!! Puis, le Kosovo ou la Géorgie des années 2000, ou encore,… aujourd’hui,… Alep. Terres de conflits, peuples meurtris dans la chaire, à vie. Et puis adulte, Nous, témoins ignorants, nous passons. Juste en condition touriste.
Nous insistons depuis 3 ans « au devoir de mémoire », solde à La Grande Guerre que nous tentons d’expliquer à nos enfants pour découvrir à quel point « notre idéal démocratique » vaut quelque chose. J’ai des doutes, j’en ai toujours eus, j’ai cette angoisse bête et idiote que ce message de liberté ne passe plus, j’essaie de manière malhabile de raconter des choses dont j’ignore jusqu’à ne pas concevoir le mal. Je n’ai jamais connu la chair meurtrie, la vie assassinée sinon comme enseignant, celle de l’actualité et des livres d’histoires à raconter ou à expliquer dans mes classes mais plus comme avant.
Comme en Croatie l’année dernière, il y a le silence pesant. Tous les vieux de ce pays ont connu l’horreur, tous les parents d’aujourd’hui sont les petits-enfants de cet instant où un même peuple s’entre-déchire. Pol- Pot, les Khmers-Rouges, le génocide. S21. C’était hier, c’est encore ‘aujourd’hui.
S21, petite école, toute petite école,… une école, semblable à tant d’autres écoles, ça aurait pu être la mienne. Quand on entre dans la cour centrale, la surprise vient du vent qui illumine une minute de silence. Drôle d’image mais ressentie. Une brise qui casse l’audio-guide, une envie d’écouter, de respirer. Mes enfants me regardent, ils savent que nous y tenons tous les deux, Charlotte et moi à cet instant. Petite parenthèse sur un voyage mais une volonté de leur transmettre ce petit message que Noé rapporte lui-même si bien dans cette vidéo (avec le nouveau micro pour la première fois, quelques petites interférences mais quel talent de reporter !), écoutez plutôt !
Quelques photos de l’horreur, prise de conscience, regards troublés, et beaucoup d’ignorance; l’inimaginable dépassé, l’horreur un peu appréhendé, le vide des cellules, des classes où jadis on pouvait encore entendre les cris de joie des enfants. On pourrait sans problème imaginer des centaines d’enfants,… Une école d’hier, aujourd’hui, l’absence de cris, de sang,… avec un peu d’imagination, ce jardin devient le sanctuaire de nos propres culpabilités. Les nôtres? Celle de l’humanité… Combien seront-nous à ne pas oublier ces visages ? Sans audio-guide, Eléonore regarde avec ses yeux d’enfants, écoute et ressent. Pour elle, une école, c’est un lieu de joie. Ici, il y a de l’émotion, palpable, elle est très touchée. Qui ne le serait pas ?
S21 ! Un trait d’histoire, une mémoire,…J’ai besoin de leurs photos pour me souvenir,… de personnes que je ne connais pas mais qui n’avaient certainement pas mérité ça ! Mon « Sarajevo » ou mon « Zaïda ou Zoulika » ou mon « Rwanda ». Petites chansons adolescentes. Déjà au passé, du temps où je vivais de musique et de poésie. Reviennent à moi leurs noms. Ici, des regards, des visages, des journaux télévisés.
S21 ? Je regarde les yeux des Cambodgiens, la jeunesse refleurit et ne veut plus en parler. Les anciens se taisent, dans un silence doux mais combien de douleurs et meurtrissures ?
S21 ? Il parait que l’Homme capable du pire est tombé, les Cambodgiens revivent.
Qu’en ferons-nous de cet avenir ?
La réponse d’un avenir meilleur donné dans les messages écrits sur les murs, donnés aux enfants.